Paroisse Saint Loup


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Solennité de l’Assomption de Notre-Dame (15 août 2020)

Eglise Saint-Pierre de Varces

« Marie, femme eucharistique » (Saint Jean-Paul II)

Époustouflante Marie au ventre rempli de Dieu, filant chez sa cousine Élisabeth dont les vieilles entrailles sont habitées par un sacré bambin. Chez la mère qui porte Dieu en herbe, pas d’esprit de préservation, pas de peur pour l’enfant qu’elle ne conçoit que bien accrochée, pas de palabres avec je ne sais qui du village ni même avec Joseph. Elle garde son secret et le dilate en elle, les joues ébouriffées de bonheur, tendues par un sourire à l’amplitude accoutumée. Car elle est joyeuse, Marie, et qui sait si ce n’est pas pour cette raison qu’elle fut choisie, d’autant plus que sans joie, rien de grand n’est enfanté. Deux cents kilomètres, à pied, à cheval, en caravane, qu’importe, elle les couvre de son allant avant de frapper le bois d’une porte avec ses doigts de pauvresse maculés par la route. Et c’est un mot, sans doute Shalom, qui ouvre le feu, mieux, la danse du feu ! Jean-Baptiste est en forme, en forme de fœtus, très présent pour son âge, remuant sous la joie (encore elle) qui le secoue. Et les femmes s’étreignent, ventre contre ventre, et le bonheur est décuplé en chant de guerre, et les enfants se pâment et nagent… eux aussi, ivres d’allégresse. Décidément, c’est de famille !
Triste mine, tu connais ? C’est vous, c’est moi, certains jours où pourtant la vie suit son cours habituel. Et pourtant, preuves à l’appui, au risque de vous décevoir ou de vous surprendre, j’affirme que les motifs réjouissants sont en nos journées plus courants que les accablants. A vrai dire, les uns comme les autres n’influent que peu sur la marche de l’âme. Plus juste, il y a en arrière-fond de nos attentes une toile tendue vers un bonheur de rêve, sans cesse menacée de lacérations successives, trouée par endroits à mesure que les années s’en vont, sabrée par le jeu (les sans-foi sont portés à le croire) de quelques divinités douteuses. Corot les a fait danser dans un sous-bois, on les récrée en nos forêts, sournoises et s’amusant au gré de leurs caprices avec nos vies. Ainsi naîtraient les destins malheureux et le droit de mettre à mort la naturelle joie. Marie comme Élisabeth ignorent ce manège et ne perdent aucun sourire, avant de pleurer demain sur les corps déchiquetés de leurs deux enfants innocents. Aussi, que les chrétiens, par respect pour elles, prêtres en tête, rient de bon cœur, et si cela ne vient pas à force de n’être plus naturels, qu’ils frottent leurs ventres contre la Grâce.
En en cette Solennité de l’Assomption de la Vierge Marie, deux enfants vont communier pour la première fois. J’en viens donc à présent à l’évocation de ce grand mystère : le Sacrement de l’Eucharistie. Et l’eucharistie est bien la chose la plus étrange et la plus mystérieuse qui soit. Comment comprendre que ce morceau de pain rond devienne le Corps du Christ livré pour nous ? « Eucharistie » est la transposition française d’un mot grec qui veut tout simplement dire : « rendre grâces », « remercier ». L’eucharistie, en fait, est un remerciement. Mais qui remercions-nous ? Dieu, le Père, le Créateur du Ciel et de la Terre. Celui que la Bible dépeint comme un Dieu de miséricorde qui « fait briller son soleil sur les bons comme sur les méchants ». Celui qu’elle décrit comme un Dieu qui aime les hommes, inlassablement, sans toujours être payé de retour, qui les appelle sans cesse mais n’est guère entendu. C’est ce Père très aimant qui a envoyé son Fils Jésus pour nous montrer jusqu’où va son amour et nous attirer tous à lui. C’est donc pour la Création, pour la vie qui court dans nos veines et qui vient de Lui que nous Le remercions. Mais nous Le remercions surtout pour son Fils, Jésus, venu vivre en homme parmi les hommes, mourir comme l’un de nous, mais en affrontant le supplice de la Croix et l’abandon de tous.
Remercier, c’est dire merci, bien sûr, mais c’est aussi bien souvent marquer sa joie d’un cadeau, d’un don. Mais comment fait-on pour remercier Celui qui nous a tout donné ? Quel est le mode d’emploi ? Y a-t-il un chemin particulier, une voie pour y parvenir ? C’est ici que Jésus lui-même intervient et nous offre le moyen de remercier son Père : la veille de sa Passion, il prend du pain, le distribue à ses amis et dit ces paroles étranges : « Prenez et mangez en tous, ceci est mon corps, livré pour vous ». Puis il prend la coupe de vin, la bénit et la donne à ses disciples en disant : « Prenez et buvez-en tous car ceci est la coupe de mon sang, versé pour vous et pour la multitude. Faites ceci en mémoire de moi. »
Dès les tous premiers récits, on voit les disciples obéir à cette étrange consigne donnée par Jésus et se rassembler pour partager le Pain. Les Actes des Apôtres, les lettres de Paul et les récits des premiers chrétiens en font foi. Dès le début, et plus encore avec ces grands pasteurs et théologiens des premiers siècles que l’on appelle les Pères de l’Église, les chrétiens ont vécu avec l’eucharistie et médité longuement sur elle en cherchant à comprendre et à approfondir cette réalité inépuisable qui est au cœur de la vie chrétienne.
Par l’eucharistie nous entrons dans la vie de Dieu lui-même, dans ce merci de Jésus à son Père, nous sommes entraînés dans ce mouvement. Ce n’est donc plus à nous de remercier Dieu : il nous suffit d’entrer dans le mouvement de remerciement du Fils à son Père.
Dieu ne veut pas de ces prétendus « dons » ou « sacrifices » par lesquels les hommes cherchaient à s’attirer les bonnes grâces de la divinité. Tout au long de l’Ancien Testament il avertit : « C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice ». Ce que recherche Dieu, ce qu’Il désire, la meilleure manière de Le « remercier », c’est d’aimer comme Il aime, d’être miséricordieux comme Il est miséricordieux, bref de Lui ressembler.
Remercier Dieu, c’est accepter d’aller à la suite de Jésus dans ce grand mouvement d’amour de Jésus à son Père que Lui seul peut nous ouvrir. C’est accepter de se donner aux autres comme Il l’a fait Lui-même en venant parmi nous. Entrer dans cette dynamique nous conduira jusqu’au don de soi, comme elle a conduit Jésus jusqu’à la mort sur une croix. Remercier Dieu, c’est accepter de devenir, au moins un peu, comme Lui.
Devenir Dieu pour Le remercier ? Quoi de plus étonnant ? Pour y arriver, on peut essayer de changer de vie, de transformer nos comportements, bref de « faire des efforts ». Cela n’est pas négligeable mais on en perçoit vite le caractère dérisoire. En fait, Jésus nous indique une autre voie, étonnante mais sûre, pour aimer comme Il aime : se nourrir de Lui, vraiment présent dans l’eucharistie.
« Car, dit-il, mon corps est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson ». Ou encore : « Celui qui me mange vivra par moi. » Ainsi, peu à peu, nous devenons d’autres Christ et nous pouvons dire, comme l’Apôtre Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » Ou bien , pour le dire comme saint Thomas d’Aquin : « L’effet propre de l’eucharistie est la transformation de l’homme en Dieu. » Et c’est ainsi que nous devenons nous-mêmes le « merci » de l’homme à son Créateur.

Père Thibault NICOLET


Références des textes liturgiques :
Apocalypse de saint Jean XI,19a ; XII,1-6a.10ab ; Psaume XLIV (XLV) ;
Lettre de la Première Lettre de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens XV, 20-27a ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc I, 39-56