Paroisse Saint Loup


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Deuxième dimanche du Carême Année B

28 février 2021 église Sainte-Marie, Le Genevrey, Vif

La gloire et la souffrance du Fils de l’homme

Jésus apparaît ici en gloire sur une montagne entre deux des plus grandes figures d’Israël : Moïse le libérateur, celui qui a transmis la Loi, et Élie, le prophète de l’Horeb. Or, quelque temps plus tard, Jésus sera sur une autre montagne, crucifié entre deux brigands. La plus grande difficulté de la foi des apôtres a certainement été de reconnaître dans ces deux visages du Messie l’image même du Père : « Qui m’a vu a vu le Père » dira Jésus à Philippe la veille de sa mort (Jean XIV, 9). Et le même Jean, qui a eu le privilège d’assister à la Transfiguration du Christ, écrira dans le prologue de son évangile : « Nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils Unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père…Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé. »
Pourtant ces deux images, la gloire et la souffrance, sont les deux faces du même amour de Dieu pour l’humanité. Comme dit saint Paul dans la lettre aux Romains, l’amour de Dieu est manifesté (rendu visible) en Jésus-Christ (Romains VIII, 39). Et Jésus lui-même fait le lien entre gloire et souffrance, en parlant du Fils de l’homme, mais Marc avoue qu’ils n’ont rien compris : « ils ne comprirent pas cette parole et craignaient de l’interroger. »
Il y avait de quoi ne pas comprendre ! Cette référence au Fils de l’homme était bien énigmatique pour les disciples. Au moment de la Transfiguration, Jésus ne développe pas. Il leur recommande seulement de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, « jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d’entre les morts. » Résurrection, donc image de gloire… Mais qui s’inscrit entre deux annonces faites par Jésus des souffrances que devra endurer ce Fils de l’homme. Première annonce, avant la Transfiguration : « Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite » (Marc VIII, 31). Et au chapitre IX – c’est-à-dire peu après la Transfiguration - : « Il enseignait ses disciples et leur disait : ‘Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, lorsqu’il aura été tué, trois jours après, il ressuscitera’. » (Marc IX, 31).
Ce n’est peut-être pas la perspective des souffrances du Fils de l’homme qui les étonnait le plus : le Fils de l’homme, dans l’Ancien Testament, n’est pas seulement glorieux, ou, plus exactement, qu’il n’est glorieux qu’après sa victoire sur de terribles ennemis. Et cette victoire ne vient pas au bout de ses efforts ; elle lui est donnée par Dieu.
Mais ce qui était plus surprenant, c’est que Jésus s’attribuait visiblement ce titre à lui-même. Or, dans le livre du prophète Daniel, le Fils de l’homme était un être à la fois individuel et collectif : « Voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’homme… Il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté… » (Daniel VII, 13). Ici, il s’agit bien d’un être individuel ; il participe à la fois du monde des hommes, puisqu’il est « fils d’homme » et du monde de Dieu, puisqu’il « vient sur les nuées du ciel »… Et la souveraineté, la gloire et la royauté qui lui sont données sont précisément l’objet de la promesse faite au Messie.
Mais tout de suite après, Daniel reprend : « Les saints du Très-Haut recevront la royauté et ils possèderont la royauté pour toujours et à tout jamais » (Daniel VII, 18). Ceci est une image de victoire messianique mais pour un sujet collectif cette fois : « les saints du Très-Haut. » Enfin, Daniel décrit la souffrance que ceux-ci devront endurer, dans une vision de guerre implacable, avant que ne leur soit donnée la victoire définitive (cf. Daniel VII, 27).
Cette simple référence au Fils de l’homme, donc, en dit déjà beaucoup sur le chemin qui attend Jésus et son peuple : un même chemin de croix et de gloire. A Césarée, Jésus avait bien prévenu : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix et qu’il me suive » (Marc VIII, 34). Peut-être est-ce pour cela que la nuée couvre non seulement Jésus, Moïse et Élie, mais aussi les trois disciples : « Survint une nuée qui les couvrit de son ombre. » La nuée, dans l’Ancien Testament, est toujours à la fois signe et voile de la Présence de Dieu… C’est elle qui accompagne la venue du Fils de l’homme, désignant en Jésus et ses compagnons – qu’ils soient de l’Ancienne ou de la Nouvelle Alliance – le peuple glorieux des Saints du Très-Haut.
« De la nuée une voix se fit entendre. » Bien sûr, cela nous rappelle le baptême de Jésus par Jean-Baptiste. Mais au baptême, dans l’évangile de Marc, la voix s’adressait à Jésus : « des cieux vint une voix : ‘Tu es mon Fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir’. » (Marc I, 11). En revanche, lors de la Transfiguration, la voix s’adresse aux disciples : « Il y eut une voix venant de la nuée : ‘Celui-ci est mon Fils Bien-Aimé, écoutez-le’. » L’expression « écoutez-le » retentit aux oreilles des apôtres comme un écho de cette profession de foi qu’ils récitent tous les jours, puisqu’ils sont juifs : « shema Israël », « écoute Israël ». C’est un appel à faire confiance quoi qu’il arrive. Confiance qui sera durement éprouvée dans les mois qui viennent, puisque la Transfiguration a lieu au moment charnière du ministère de Jésus : le ministère en Galilée se termine, Jésus va maintenant prendre le chemin de Jérusalem et de la croix. Le titre de « Bien-Aimé » qui apparaît ici va dans le même sens : il rappelle que le Messie sera un Serviteur, comme l’appelle Isaïe, et qu’il connaîtra la souffrance et la persécution pour sauver son peuple.
Mais tout cela doit encore demeurer secret. Précisément parce que les disciples ne sont pas encore prêts à comprendre (et les foules encore moins) le mystère de la personne du Christ. Cette lueur de gloire de la Transfiguration ne doit pas tromper ceux qui en ont été spectateurs : c’est le rayonnement de l’amour.
« Qui m’a vu a vu le Père »… On est loin des rêves de triomphe politique et de puissance magique qui habitent encore les apôtres et qui les habiteront jusqu’à la fin. En leur donnant cette consigne de silence, Jésus leur fait entrevoir que seule la Résurrection éclairera son mystère. Pour l’instant, il faut redescendre de la montagne, résister à la tentation de s’installer ici à l’écart, sous la tente, et affronter l’hostilité, la persécution, la mort. La vision s’est effacée : « Ils ne virent plus désormais que Jésus seul » ; cette phrase venant aussitôt après la désignation de Jésus comme le Fils Bien-Aimé est, elle aussi, très importante : elle annonce que Jésus accomplit en lui seul la Loi et les prophètes.

Père Thibault NICOLET


Références des textes liturgiques :
Livre de la Genèse XXII, 1-2. 9-13. 15-18 ; Psaume CXV (CXVIa) ;
Lettre de Saint Paul Apôtre aux Romains VIII, 31b-34 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc IX, 2-10