Cinquième dimanche de Pâques Année B
D 2 mai 2021 église Saint Jean-Baptiste, Vif
La vigne et les sarments
L’image de la vigne était connue des auditeurs de Jésus. Les anciens prophètes, en particulier Isaïe, l’avaient utilisée pour désigner le peuple de Dieu. Mais ce même Isaïe avait aussi évoqué la désobéissance de ce peuple et son rejet par Dieu. En affirmant, au début de ce passage, qu’il est la vraie vigne, Jésus se campe come nouveau peuple de Dieu, obéissant à la loi, aimé de Dieu, et il invite tous ceux qui veulent le suivre, en l’aimant et en mettant en pratique son enseignement, à devenir les sarments de cette vigne, des sarments tellement bien entés sur la vigne qu’ils portent du fruit. Deux cas sont alors évoqués à propos des sarments qui ne portent pas de fruit : le sarment qui demeure greffé à la vigne et qui demeure stérile, et celui qui s’éloigne de la vigne et qui demeure lui aussi stérile.
Ces deux types de sarments correspondent bien à deux types de comportements contre lesquels, à partir de cet avertissement du Christ, l’Eglise se doit de mettre en garde.
Le premier désigne un attachement superficiel au Christ et à son Eglise. Les personnes ainsi visées peuvent donner l’impression aux autres, voire à elles-mêmes, qu’elles sont chrétiennes puisqu’elles demeurent entées sur la vigne, mais elles ne portent pas de fruit…
Le second désigne très clairement ceux qui se sont éloignés visiblement du Christ et de son Église, ceux qui ont en quelque sorte déserté. Eux non plus ne portent pas de fruit.
Il ne s’agit pas de s’arrêter longuement sur cette seconde catégorie de sarment. En effet, il ne nous concerne que très peu puisque nous voilà ici assemblés en Église, entés sur la vigne Jésus-Christ, écoutant sa Parole et prenant part à la sainte communion. Mais nous ne négligerons pas pour autant cette image. Il faut en effet que nous la gardions constamment à l’esprit, particulièrement lorsque nous sommes tentés de nous éloigner de l’Église, lorsque par exemple telle ou telle de ses structures nous déconcerte voire nous irrite. Malgré la faiblesse des hommes qui parlent en son nom, l’Église de Jésus-Christ demeure indispensable. Elle est sainte comme l’affirme le Credo de Nicée-Constantinople. Elle est le lieu où pousse la vraie vigne, à laquelle tout bon sarment doit demeurer attaché, quoi qu’il arrive.
Je reviens maintenant au premier type de sarment, celui qui demeure en Christ mais sans porter de fruit, autrement dit sans servir à la propagation de l’Évangile et à la conversion des non chrétiens. J’ai déjà indiqué qu’il s’agissait de chrétiens d’apparence, ce qui signifie, pour reprendre l’image de la vigne, qu’en tant que sarment ils ne sont pas vraiment greffés sur la vigne, autrement dit que la sève de la vigne ne circule pas en eux. Il y a donc défaut d’unité entre eux et la vigne elle-même.
Comment caractériser alors ce défaut d’unité ? Écoutons alors Jésus dans cette admirable prière du chapitre XVII de l’évangile de Jean, que l’on appelle la prière sacerdotale, prière dans laquelle Jésus recommande ses apôtres et ceux qui croiront grâce à eux, c’est-à-dire nous-mêmes : « Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi ; que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi afin que le monde croie que tu m’as envoyé ; et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée pour qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les a aimés comme tu m’as aimé. »
En Marc XII, 1-12, Israël n’est plus la vigne mais est remplacée par les vignerons. Dieu, c’est-à-dire le maître, envoie ses serviteurs pour venir chercher sa part de fruits, et ils sont malmenés voire tués, tout comme le sera au final le fils héritier du maître.
D’où le nom donné à cette parabole des vignerons homicides, et son actualité soulignée par Joseph Ratzinger-Benoît XVI est saisissante : « L’exégèse moderne s’arrête à cet endroit et replace ainsi la parabole dans le passé. La parabole parlerait seulement de la situation d’antan, du rejet du message de Jésus par ses contemporains, de sa mort sur la croix. Mais le Seigneur parle toujours au présent et en vue de l’avenir. Il parle justement avec nous et de nous. Si nous ouvrons les yeux, alors ce qui est dit dans la parabole n’évoque-t-il pas le moment présent ? N’est-ce pas la logique des temps modernes, de notre temps ? Si nous déclarons que Dieu est mort, alors nous sommes nous-mêmes Dieu. Nous cessons d’être la propriété d’un autre, nous sommes propriétaires de nous-mêmes et propriétaires du monde. Nous pouvons enfin faire ce qui nous plaît […], ce qui arrive alors aux hommes et au monde, nous commençons à l’entrevoir […]. »
Cela dit, encore trop de gens, en particulier parmi ceux qui nous gouvernent, et cela ne date pas d’aujourd’hui, continuent à être aveugles comme les pharisiens devant le miracle de l’aveugle-né (Jean IX). Ils s’obstinent à imaginer une société sans Dieu, où la religion doit être reléguée dans la sphère du privé. Ils ont même convaincu certains chrétiens de cela, les transformant en sarments éloignés de la vigne, condamnés à tenir des propos stériles, achevant de vider les églises et à imaginer des plans de fonctionnement qui relèvent beaucoup plus de chroniques d’une mort annoncée que de la nouvelle évangélisation devant redonner toute sa vigueur à l’Église. Pour savoir si nous sommes des chrétiens à côté du Christ ou en Christ, nous devons nous interroger sur l’amour qui nous unit, qui passe d’abord par l’amour de Dieu. Si j’ai en effet tenu à vous citer les versets de la prière sacerdotale, c’est pour montrer cette priorité de l’attachement à l’amour divin. Par le baptême en effet, le Christ vit en nous, tout en étant uni au Père. L’amour qui unit donc le Fils au Père et qui vise à manifester les fruits de la conversion du monde, cet amour-là doit exister en nous et produire les mêmes fruits. Ce n’est donc qu’en communiquant vraiment avec l’amour du Père et du Fils que nous pourrons porter du fruit et ainsi communiquer aux autres notre foi, par la grâce de l’Esprit-Saint.
Je n’en dis pas plus, alors que pour avoir adoré avec intensité le crucifié sur la croix ou le Saint-Sacrement, dans la vérité théologique et liturgique telle que définie par les usages de l’Église catholique, certaines personnes spécialement choisies par Dieu ont reçu les saints stigmates. Mais ce sont là des cas limites. Qu’il nous suffise, dans cette contemplation, de ressentir les douleurs de Dieu, douleurs qui, se joignant à nos propres douleurs, les mèneront vite au tombeau, non pas n’importe quel tombeau, mais le tombeau du Christ qui, le troisième jour, fut trouvé vide. Poussons donc notre amour pour le Père et le Fils jusqu’aux épousailles des souffrances de la croix, afin que cet amour tende vers la perfection et qu’ainsi il nous unisse fermement les uns aux autres. Et je puis vous affirmer alors que, quelles que soient nos peines et nos souffrances, nous retrouverons vite l’amour victorieux, l’amour qui fait porter des fruits de conversion. Et je me référerai ici encore à une dernière précision de notre pape émérite concernant l’évolution du sens de la vigne dans l’enseignement de Jésus, car Il se proclame la vraie vigne (Jean XV, 1). « Le Fils lui-même s’identifie à la vigne, il est devenu lui-même la vigne, il s’est laissé planter dans la terre, il est entré dans la vigne. Le mystère de l’Incarnation, dont Jean a parlé dans le prologue, est repris de façon surprenante. Dès lors, la vigne n’est plus une créature que Dieu regarde avec amour, mais qu’il peut aussi arracher et rejeter. Dans le Fils il est lui-même devenu la vigne, il s’est pour toujours et ontologiquement identifié à la vigne. »
Il ne nous restera plus alors qu’à nous préparer à affronter le dernier ennemi : la mort. Mais je suis sûr que si nous l’affrontons en demeurant bien entés sur la vigne Jésus-Christ, nous l’aurons déjà vaincue dans son aspect diabolique, dans ce qu’elle peut produire de craintes et d’angoisses. Celui en qui circule la sève de la vigne Jésus-Christ sait qu’il peut s’endormir en paix dans son dernier sommeil, car il sera réveillé pour retrouver son maître.
Il est accordé la grâce à certains mourants de changer de regard à l’instant suprême. Ce n’est plus le regard las ou éteint par l’épuisement de la maladie ou de la vieillesse, c’est un regard soudain clair qui peut même aller jusqu’au sourire ; c’est comme une fenêtre s’ouvrant sur la vie éternelle. Qui sait si ces mourants ne voient pas déjà derrière le voile, habitués qu’ils étaient au compagnonnage avec le Christ, à goûter dès ici-bas les arrhes de l’éternité ?
Vivons donc nous aussi dans ce compagnonnage. Lorsqu’il faudra traverser la sombre vallée de la mort, notre guide ne nous abandonnera pas, nous verrons de loin la lumière qui donne sa saveur au vin de la vigne du Royaume de Dieu.
Références des textes liturgiques :
Livre des Actes des Apôtres IX, 26-31 ; Psaume XXI (XXII) ;
Première Lettre de saint Jean III, 18-24 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean XV, 1-8