Quatrième dimanche du Temps Ordinaire Année B
D 28/01/2024 église Saint Jean-Baptiste, Vif / Entrée en Eglise de Simon
Une parole forte
Il convient de situer ce texte d’évangile dans son contexte. Jésus vient tout juste de recruter ses quatre premiers disciples au bord de ce que nous appelons aujourd’hui le lac de Tibériade : Simon et André son frère, d’abord, puis Jacques et Jean, les fils de Zébédée. Avec eux, il « arrive à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, Il se rend à la synagogue ». Rien de plus normal pour un juif. Marc note ici l’enracinement de Jésus dans le monde juif, dans la tradition de son peuple. Quand ce même Jésus a commencé à parcourir la Galilée en proclamant : « Le temps est accompli, le Règne de Dieu s’est approché » (Marc I, 15), il s’inscrivait bien dans l’attente de son peuple, dans la continuité du projet de Dieu sur Israël. Et là, dans la synagogue de Capharnaüm, il se met à enseigner. Rien de plus normal également : tout juif avait le droit de se présenter pour commenter les Écritures qui venaient d’être proclamées.
Mais il semble bien que Marc ait voulu concentrer l’intérêt du lecteur sur l’enseignement de Jésus, puisque les mots ‘enseigner’ et ‘enseignement’ reviennent quatre fois en quelques lignes. Au début du texte : « Jésus se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. » Et à la fin du texte : « Tous s’interrogeaient : ‘Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité !’ » Peut-être que, parmi les assistants, certains ont pensé à la promesse que Dieu avait faite à Moïse : « Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles » (Deutéronome XVIII, 18).
C’est donc au cœur même de cet enseignement de Jésus que Marc note une rupture, une nouveauté, l’histoire du monde vient de basculer. A l’enseignement des scribes vient de se substituer celui du Sauveur et on va en avoir tout de suite la preuve, car Marc ne nous rapporte pas ce que Jésus a bien pu dire, mais bien mieux, entre ces deux insistances sur l’étonnant enseignement de ce nouveau venu, il décrit l’expulsion d’un démon, ce que nous appellerions aujourd’hui un ‘exorcisme’. Ce qui veut dire que pour Marc, les deux facettes de l’œuvre de Jésus (enseignement et exorcisme) vont ensemble ou même que le meilleur des enseignements est l’action, la vraie, celle qui libère l’homme de toute forme de mal.
Et tout ceci, nous l’avons vu, se passe à la synagogue (Marc le précise deux fois) et, qui plus est, un jour de sabbat, ce qui n’est pas non plus sans importance, puisque le sabbat était le jour par excellence où l’on célébrait l’action du Dieu créateur et libérateur. En Jésus, Marc nous montre le Père libérant l’homme de tous les démons qui le possèdent : les temps sont accomplis, oui, puisque le Mal est vaincu (« Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, alors le règne de Dieu vient de vous atteindre », Matthieu XII, 28).
Il y avait donc ce jour-là, parmi les croyants réunis à la synagogue, un homme possédé d’un esprit impur. Jésus ne l’agresse pas, mais l’esprit impur, lui, se sent agressé par cette seule présence, car ce face-à-face avec le Dieu Saint lui est intolérable, lui qui est l’impur, c’est-à-dire en grec, le contraire même, l’incompatible avec le Dieu Saint. Et c’est lui qui crie, annonçant lui-même sa défaite : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais fort bien qui tu es : le Saint, le Saint de Dieu » (verset 24). L’esprit impur a tout compris ; son interrogation : « Es-tu venu pour nous perdre ? » n’en est pas une. Mis en présence de celui qui sauve les hommes de tout mal, il se démasque lui-même, reconnaissant l’autorité de Jésus.
Cette fois, Jésus hausse le ton : « Silence ! Sors de cet homme ! » Et il emploie pour cela un verbe étonnant que nous retrouverons (adressé à la mer déchaînée) dans le récit de la tempête apaisée : ‘sois muselé’ . Mais pourquoi Jésus commande-t-il à l’esprit impur de se taire ? Il s’agit peut-être de ce que l’on appelle le ‘secret messianique’ : Jésus ne voulant pas que le mystère de sa personne soit divulgué trop tôt, avant que ses disciples ne soient prêts à l’entendre. Plus simplement, ce ne sont pas des belles paroles que Jésus attend, car une déclaration, même exacte, ne constitue pas nécessairement une profession de foi ; et comme très souvent dans les Évangiles, ce sont les démons qui font les plus belles déclarations.
Encore un cri de l’esprit impur et cette fois, l’homme possédé est délivré ; alors les langues se délient pour reconnaître l’importance de l’événement : « Saisis de frayeur, tous s’interrogeaient : ‘Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent’ » (verset 27). Le récit de Marc se clôt donc sur une question : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » C’est bien le rôle des miracles et des actes de puissance de Jésus en général : ils ne prouvent rien mais ils interrogent, ils font signe.
Reprenons maintenant l’ensemble de ce passage d’évangile du point de vue de ses lecteurs, parce qu’un texte, quel qu’il soit – et un évangile, plus que tout autre – vise toujours des lecteurs. Quand Marc écrit son évangile, bien des années après la résurrection de Jésus, il propose à ses lecteurs chrétiens une contemplation qui doit les encourager à tenir bon dans la foi : un peu comme si Marc leur disait : ‘les quatre disciples qui accompagnent Jésus dès le début de son enseignement et de ses œuvres, c’est l’Église naissante, c’est vous qui êtes appelés désormais à annoncer cette Bonne Nouvelle à toute l’humanité (ce que laisse entendre ce chiffre de quatre). Vous êtes cette Église désormais détachée du judaïsme (il faudrait dire déchirée), et dont le déchirement était en germe, déjà, dans l’opposition latente entre Jésus et les scribes ; mais vous pouvez faire confiance à Celui dont la Parole efficace a déjà vaincu les forces du Mal. Celui-ci, il est vrai, agite encore l’humanité et même le peuple croyant, mais ses cris même et son agitation sont les convulsions de la fin : le Mal est vaincu depuis la Résurrection du Christ. Mes frères, la vérité du Christ, son autorité, vous en êtes les dépositaires. Avec lui, à votre tour, vous musellerez les forces du Mal.’
A la synagogue de Capharnaüm, les contemporains de Jésus se sont étonnés (« Saisis de frayeur, tous s’interrogeaient : ‘Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent.’ »), mais pour les lecteurs de Marc, comme pour nous aujourd’hui, il s’agit d’aller plus loin. Il s’agit de croire en celui qui est le seul apte à libérer l’humanité de toutes les forces du Mal.
Références des textes liturgiques :
Livre du Deutéronome XVIII, 15-20 ; Psaume XCIV (XCV) ;
Première Lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens VII, 32-35 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc I, 21-28