Paroisse Saint Loup


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Veillée Pascale

30 mars 2024 église Saint Jean-Baptiste, Vif

La Nuit du grand Passage

La liturgie nous propose sept premières lectures entrecoupées d’autant de psaumes et cantiques de l’Ancien Testament. Mais quel lien y a-t-il entre tous ces textes ?
La clé est à chercher du côté de la Pâque juive. Or le targum (traduction chaldéenne de la Torah) de la Pâque comporte un poème dit « des quatre nuits », qui brosse une grande fresque du projet de Dieu pour l’humanité. Il commence ainsi : « Quatre nuits sont inscrites dans le livre des mémoriaux. » Ces quatre nuits sont celle de la Création, celle de l’épreuve d’Abraham offrant son fils Isaac, celle de la sortie d’Égypte et celle de la fin du monde.
Voici donc nos sept lectures. D’abord nos trois premières lectures correspondent aux trois premières nuits : le poème de la Création (Genèse I), l’épreuve d’Abraham (Genèse XXII) et la sortie d’Égypte (Exode XIV). Nos quatre autres lectures correspondent à la seule quatrième nuit, « quand le monde arrivera à sa fin… », c’est-à-dire lorsque l’Alliance entre Dieu et l’humanité sera définitivement scellée : Isaïe, d’une part, la décrit en termes de noces (« ton époux, c’est ton Créateur », Isaïe LIV) et en termes d’abondance pour tous (« vous tous qui avez soif, voici de l’eau », Isaïe LV) ; puis Baruch indique le chemin du bonheur, qui est la fidélité à la loi : « Tous ceux qui l’observent vivront… » (Baruch IV) ; enfin Ézéchiel annonce l’humanité nouvelle où l’on ne verra plus de « cœurs de pierre » (Ézéchiel XXXVI).
Ainsi, alors qu’elle voit dans le mystère pascal l’accomplissement de l’Alliance de Dieu avec l’humanité, l’Eglise nous propose au long de cette nuit de revivre toute cette histoire.
Finalement, nous n’en savons pas beaucoup plus sur la Résurrection du Christ que sur le passage de la Mer Rouge ! Le fait est là, incontestable, dans les deux cas, puisqu’il a nourri la foi de millions d’hommes, mais les textes qui le rapportent, dans les deux cas, également, ne concordent même pas entre eux. Les diverses traditions, pour la sortie d’Égypte, les quatre évangiles, pour la Résurrection du Christ, sont parfois contradictoires. Il est d’autant plus intéressant, du coup, de noter leurs ressemblances.
Le contexte d’abord : les trois évangiles synoptiques terminaient le récit de la Passion, notant que les femmes avaient été témoins de l’ensevelissement de Jésus. Ce sont elles, d’après ces récits, qui peuvent attester que le tombeau est vide. Les trois évangélistes notent aussi que ceci se passe le « premier jour de la semaine », une fois le sabbat terminé.
Le sabbat, à cette époque-là comme aujourd’hui, commençait le vendredi soir au coucher du soleil pour se terminer le samedi soir. Matthieu semble situer la visite des femmes au tombeau le soir même du samedi, Marc et Luc au petit matin du dimanche. Leur insistance commune sur l’expression « le premier jour de la semaine » dit combien ce jour était vénéré dans les premières communautés chrétiennes. Le dimanche chrétien est né là : il est le premier jour des temps nouveaux, le premier jour de la Création nouvelle.
La prophétie d’Ézéchiel est accomplie bien au-delà de ce que le prophète lui-même avait pu envisager : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : ‘Je vais ouvrir vos tombeaux, je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple !’ » (Exode XXXVII, 12). Peut-être Matthieu a-t-il particulièrement ce texte en tête, lui qui, seul des trois, tient à manifester que c’est Dieu qui agit ici : « Et voilà qu’il y eut un grand tremblement de terre ; l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus. Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme la neige » (Matthieu XXVIII, 2). Il avait été également le seul à noter le tremblement de terre au moment de la mort du Christ.
Les trois récits s’accordent à nouveau pour l’affirmation centrale : « Il est ressuscité. » Pour la suite, Matthieu et Marc se ressemblent très fort. Chez Marc, le « jeune homme vêtu de blanc » dit : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : ‘Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit’. »
Et ce sont bien Marc et Matthieu qui ont retenu cette prédiction lors de l’institution de l’Eucharistie : « Cette nuit même, vous allez tous tomber à cause de moi. Et il est écrit : ‘Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées’ (Zacharie XIII, 7). Mais, une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » (Matthieu XXVI, 31-32 ; Marc XIV, 27-28).
Luc retient une autre annonce de Jésus : « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : ‘Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et que, le troisième jour, il ressuscite’. » Et il veut faire résonner au sein de sa communauté cette question : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? »
Dans les trois évangiles, cette découverte du tombeau vide est également un envoi en mission. Marc et Matthieu rapportent l’ordre donné aux femmes en des termes à peu près analogues (cf. supra). Luc ne dit pas l’ordre mais rapporte que les femmes se sont précipitées pour annoncer la nouvelle : « Revenues du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. » On sait qu’elles n’eurent pas grand succès : Luc est le plus clair sur ce point. Il dit bien l’incrédulité des apôtres devant ce qu’ils ont considéré comme des racontars de femmes : « Ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. » Les deux autres évangiles synoptiques notent (dans les versets qui suivent nos péricopes de la nuit pascale) que l’incrédulité a prévalu pendant un certain temps. Il est intéressant de noter que ce n’est donc pas sur l’expérience du tombeau vide que repose la foi des disciples, mais que Jésus leur a quand même confié la mission d’annoncer au monde la Bonne Nouvelle de Pâques.

Père Thibault NICOLET

Références des textes : Livre de la Genèse I, 1 – II, 2 / Psaume CIII ou Psaume XXXII ; Livre de la Genèse XXII, 1-18 / Psaume XV ; Livre de l’Exode XIV, 15-XV, 1a / Exode XV ; Livre du prophète Isaïe LIV, 5-14 / Psaume XXIX ; Livre du prophète Isaïe LV, 1-11 / Isaïe XII ; Livre du prophète Baruch III, 9-15.32 – IV, 4 / Psaume XVIIIa ; Livre du prophète Ezékiel XXXVI, 16-17a.18-28 / Psaume XLI-XLII ou Isaïe XII ou Psaume L ; Épître de saint Paul apôtre aux Romains VI, 3b-11 / Psaume CXVII ; Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc XVI, 1-7