Solennité de la Sainte Trinité
S 25 mai 2024 église Saint-Paul, Saint-Paul-de-Varces et D 26 mai 2024 église Saint Jean-Baptiste, Vif
Un seul Dieu en trois Personnes
A la réflexion, je crois devoir dire que les réserves de certains exégètes au sujet de la foi trinitaire sont mal fondées. Certes il semble bien que dans les toutes premières communautés chrétiennes on ait baptisé au nom de Jésus, comme en témoigne Actes II,38 le jour de la première Pentecôte, après le discours de Pierre, où ce dernier répond à la question « que ferons-nous, frères ? » posée par les auditeurs. Pierre répond : « Convertissez-vous : que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit. »
De même en Actes VIII,16, Pierre et Jean sont envoyés en Samarie par le collège apostolique qui a appris que les Samaritains avaient accueilli la parole de Dieu grâce à Philippe qui avait été obligé de fuir Jérusalem suite à la lapidation d’Étienne. Cette persécution s’était abattue en effet sur ses autres amis, les juifs hellénistes dont il faisait partie. Tels des ‘inspecteurs ecclésiastiques’, les apôtres viennent donc vérifier la mission des hellénistes et le texte précise : « Une fois arrivés, ces derniers [Pierre et Jean] prièrent pour les Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit-Saint. En effet l’Esprit-Saint n’était encore descendu sur aucun d’eux, ils avaient seulement reçu le baptême au nom du Seigneur Jésus. Pierre et Jean se mirent donc à leur imposer les mains et les Samaritains recevaient l’Esprit-Saint » (Actes VIII, 15-17). C’est d’ailleurs après cet épisode que Simon le magicien propose de l’argent aux apôtres pour recevoir, lui aussi, cette puissance.
Dans les deux cas le don de l’Esprit est distinct du baptême au nom de Jésus, mais il le suit de près et, dans le premier discours de Pierre, il semble même en découler pratiquement et automatiquement, c’est une différence par rapport à notre deuxième récit.
Cela dit, comme le fait remarquer Pierre Bonnard dans son célèbre commentaire de saint Matthieu, l’époque apostolique n’ignorait pas la formule trinitaire. Il cite entre autres la finale de la deuxième épître de saint Paul aux Corinthiens dont personne n’a jamais douté de l’authenticité, même si on polémique toujours sur son découpage. Vers les années 56, l’apôtre écrit : « La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous. » Ce texte précède notre évangile selon saint Matthieu qui a donc très bien pu utiliser pareille formule.
Cette unique mention explicite de la Trinité, dans l’évangile selon saint Matthieu à propos du baptême, est liée à un ordre, à une promesse.
L’ordre, c’est l’envoi des apôtres en mission, avec la demande de baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Et nous avons là notre mention explicite de la Trinité.
Avec la promesse « et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », le Christ promet sa présence à ceux qui vont lui obéir. Et ce n’est pas forcer les choses que de lier cette présence du Christ au travail commandé aux apôtres, travail qui n’est rien d’autre que l’édification de l’Eglise par la mission.
On peut se demander maintenant pourquoi Jésus parle de baptême « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».
La réponse à cette question peut avoir plusieurs points de départ. Je partirai de l’Écriture et j’évoquerai deux textes fondamentaux pour le sujet qui nous préoccupe : le chapitre VI de l’épître aux Romains et le chapitre III de l’évangile de Jean, c’est-à-dire l’entretien de Jésus avec Nicodème.
Dans le premier texte, Paul fait du baptême un véritable rite d’incorporation à la mort et à la résurrection du Christ. Ce n’est pas seulement en tant que rite purificateur par l’eau que le baptême lave du péché, et je rappelle que le verbe grec baptizein veut dire ‘immerger’, ‘purifier’, ‘laver’. Il associe le récipiendaire à l’œuvre rédemptrice du Christ en le faisant passer par deux phases : la mort et la résurrection. Et pour bien signifier la force de la grâce baptismale, produisant mort et nouvelle naissance, Paul emploie en grec le temps de l’aoriste pour dire à ses destinataires : « Vous êtes morts au péché », expression à laquelle on pourrait ajouter, pour bien rendre compte du sens de ce temps verbal : « Vous êtes morts une fois pour toutes ».
Quant à saint Jean, il fera affirmer à Jésus face à Nicodème la nécessité d’une nouvelle naissance pour voir le Royaume de Dieu. Et si on lit le texte, on voit que cette nouvelle naissance, nécessaire pour quiconque veut voir le Royaume de Dieu, est liée à l’œuvre rédemptrice de Jésus. Le Fils de l’homme venu du ciel est évoqué, ainsi que son élévation, élévation qui est à la fois la croix et l’Ascension dans la littérature johannique.
Ainsi le baptême, pour Paul comme pour Jean, est-il un rite salvateur parce qu’il associe le récipiendaire à l’œuvre rédemptrice du Christ, autrement dit à l’action de Dieu comme Père qui envoie sa parole dans le monde, à l’action de Dieu comme Fils incarné dont l’obéissance au Père est tellement parfaite qu’elle peut manifester aux hommes la splendeur de la divinité, à l’action de Dieu comme Saint-Esprit dont seule la force peut appliquer aux hommes les bienfaits qui découlent des actions du Père et du Fils. La Trinité, même si elle est beaucoup plus que cela, peut donc être considérée comme le mot le plus court résumant toute l’histoire du salut opéré par un Dieu vivant, appelant les hommes à entrer dans sa communion. Voilà pourquoi le baptême ne peut être célébré qu’au nom de la sainte Trinité, et non pas seulement au nom de Jésus.
Cela dit, on peut comprendre que dans un premier temps ce nom seul ait été utilisé. Jésus est en effet, comme cela arrive souvent dans la Bible, un nom ‘programme’. C’est la translittération grecque de l’hébreu ‘jéoshua’ qui a donné ‘Josué’ et qui veut dire ‘Dieu sauve’. Chez Matthieu, c’est Joseph qui donnera ce nom à son fils (Matthieu I, 11), chez Luc, c’est Marie (Luc I, 31). Dans les deux cas, ce sera sur l’ordre d’un ange. On remarquera que seul Matthieu donne l’explication du nom, en précisant « qu’il sauvera le peuple de ses péchés ». Ce qui nous montre au passage, comme le fait Pierre Bonnard, que cette idée n’était pas si étrangère que cela au judaïsme. Et il cite en effet les psaumes de Salomon, littérature pharisienne, le 17ème en particulier, où le Messie davidique purifiera Jérusalem par la sanctification. L’attente messianique juive chez les pharisiens ne se bornait donc pas à espérer un Messie seulement politique, ce qui, avec d’autres croyances, explique la proximité des pharisiens par rapport à l’enseignement de Jésus. Dans ces conditions aussi, ce nom a une puissance trinitaire implicite, un Messie qui s’appelle ‘Dieu sauve’ ne peut venir que de Dieu le Père et détenir une grande puissance spirituelle pour mener sa mission à bien, donc l’Esprit-Saint. La formule trinitaire remplaçant le nom de Jésus fait passer de l’implicite à l’explicite, et c’est mieux ainsi. C’est d’ailleurs un bel exemple du ‘travail’ de la Tradition au cœur même de l’Écriture Sainte.
Références des textes : Livre du Deutéronome IV, 32-34.39-40 ; Psaume XXXII (XXXIII) 4-5,6.9,18-19,20.22 ; Lettre de saint Paul apôtre aux Romains VIII, 14-17 ; Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu XXVIII, 16-20