Quatorzième dimanche du Temps Ordinaire Année B
D 07 juillet 2024 église Saint Jean-Baptiste, Vif
Nos yeux levés vers Toi, Seigneur, espèrent ta pitié
La première ligne du psaume de ce dimanche précise qu’il s’agit d’un ‘cantique des montées’ : c’est-à-dire de l’un des quinze psaumes (de CXX à CXXXIV) composés tout exprès pour être chantés pendant la marche des trois pèlerinages annuels à Jérusalem. Mais parmi les quinze, celui-ci a une tonalité très particulière que seule l’histoire peut éclairer.
Si l’on en croit les livres d’Esdras et de Néhémie, les rescapés de l’Exil revenaient au pays pleins d’ardeur : à peine arrivés, avant même d’avoir pu reconstruire le Temple, ils rétablirent le culte dans des installations de fortune. Ils avaient pour eux l’ordre de Cyrus, le nouveau maître du monde, celui qui avait conquis Babylone et renvoyé les exilés chez eux, avec l’ordre de rebâtir leurs villes et leurs temples. Mais la peur les tenaillait quand même (Esdras III, 3), car en leur absence, d’autres s’étaient installés à Jérusalem,… d’autres qui ne voyaient pas d’un très bon œil le retour des exilés. Ils commencèrent quand même à poser les fondations du nouveau temple. Zorobabel avait pris la direction des opérations. Ils avaient à peine commencé que les oppositions s’affirmèrent : le conflit s’envenima tellement qu’il parvint aux oreilles de l’administration perse et les travaux furent arrêtés. On a plusieurs versions des faits – différentes évidemment, selon la source - : pour les uns, Zorobabel, le meneur des nouveaux venus, les exilés de retour, fut trop exigeant sur les garanties de fidélité des gens du pays qui dénoncèrent les travaux de Zorobabel à l’administration perse comme un acte d’insoumission et de révolte larvée. Les travaux ne reprirent qu’en 520 avant Jésus-Christ, à l’appel des prophètes Aggée et Zacharie.
C’est dans ce climat de soupçon que naît la prière de notre psaume : ceux qui sont revenus avec Zorobabel, pleins d’espoir, n’en finissent pas de déchanter. On lit ici leur humilité et leur humiliation. Ceux que l’on trouve en place font figure de gens installés, au regard de la pauvreté des rapatriés : qui d’autre que Dieu pourrait faire valoir leurs droits ? « Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous, notre âme est rassasiée de mépris. C’en est trop, nous sommes rassasiés du mépris des orgueilleux. » Une fois de plus, apparemment, ce n’est pas la foi qui paie !
Plus tard, quand on ‘monte’ au Temple de Jérusalem en pèlerinage, on se remémore cette période difficile et on évoque les souffrances de ceux à qui l’on doit sa reconstruction, envers et contre tout. On n’éprouve aucune difficulté à épouser leurs sentiments, car l’humiliation n’est pas terminée et l’humilité reste de mise. Le Temple est reconstruit, certes, mais Israël n’a pas recouvré sa totale indépendance ; et jusqu’à la venue du Messie, on suppliera inlassablement : « Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous. »
L’appel au secours – « Vers toi j’ai les yeux levés, vers toi qui es au ciel » - reprend la formule du premier psaume des montées, l’image des yeux levés : « Je lève les yeux vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ? » (Psaume CXX, 1). C’est l’une des expressions habituelles de l’adoration et de la confiance. Citons seulement : « J’ai toujours les yeux sur le Seigneur, car il dégage mes pieds du filet » (Psaume XXV, 15) ; « Ta fidélité est restée devant mes yeux » (Psaume XXVI, 3) ; « Mes yeux se sont usés à force d’attendre mon Dieu » (Psaume LXIX, 4) ; « Mes yeux se sont usés à chercher tes ordres, et je dis : ‘Quand me consoleras-tu ?’ » (Psaume CXIX, 82) ; « Mes yeux se sont usés à attendre ton salut et à chercher les ordres de ta justice » (Psaumes CXIX, CXXIII).
« Les yeux sur toi, Dieu Seigneur, je me suis réfugié près de toi ; ne me laisse pas rendre l’âme ; garde-moi du filet qu’on m’a tendu et des prières des malfaisants » (Psaume CXLI, 8) ; « Les yeux sur toi, ils espèrent tous, et tu leur donnes la nourriture en temps voulu ; tu ouvres ta main et tu rassasies tous les vivants que tu aimes » (Psaume CXLV, 15-16).
Autre image de confiance, la référence à la main de Dieu : c’est elle qui a depuis toujours protégé, guidé, comblé Israël. Ainsi évoque-t-on le passage de la Mer : « Israël vit avec quelle main puissante le Seigneur a agi contre l’Egypte » (Exode XIV, 31). « Le Seigneur, votre Dieu, a asséché devant vous les eaux du Jourdain jusqu’à ce que vous ayez passé, comme il l’avait fait pour la mer des Joncs qu’il assécha devant nous jusqu’à ce que nous ayons passé, afin que tous les peuples de la terre sachent comme est forte la main du Seigneur » (Josué IV, 24). Cette main du Seigneur tient toute la terre : « Dans la main du Seigneur est le gouvernement de la terre » (Siracide X, 4), mais elle tient plus encore son peuple élu : « Car moi, le Seigneur, je suis ton Dieu qui tient ta main droite, qui te dit : ‘ne crains pas, c’est moi qui t’aide’ (Isaïe XLI, 13) ; « C’est moi le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai tenu par la main, et je t’ai mis en réserve… » (Isaïe XLII, 6). « Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier » (Jérémie XVIII, 6).
Pour terminer, laissons la parole encore une fois à Isaïe : « Non, la main du Seigneur n’est pas trop courte pour sauver, son oreille n’est pas trop dure pour entendre. Mais ce sont vos perversités qui ont mis une séparation entre vous et votre Dieu ; ce sont vos fautes qui ont tenu son visage caché loin de vous, trop loin pour qu’il vous entende. Vos paumes, en effet, sont tachées par le sang et vos doigts par la perversité, vos lèvres profèrent la tromperie, votre langue roucoule la perfidie » (Isaïe LIX, 1). On comprend bien ici pourquoi le psaume implore trois fois : ‘Pitié’, mais sans oublier que « la main du Seigneur n’est pas trop courte pour sauver ».
Références des textes :
Livre du Prophète Ézéchiel II, 2-5. ;
Psaume CXXII (CXXIII) ;
Deuxième Lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens XII, 7-10 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc VI, 1-6