Dix-septième dimanche du Temps Ordinaire Année B
S 27/07/2024 église Saint-Paul, Saint-Paul-de-Varces et D 28/07/2024 église Saint Jean-Baptiste, Vif 024
Jésus comble nos faims
Quand les apôtres reviennent de tournée, leur joie est toujours intense à la pensée de retrouver leur Jésus, et chacun d’eux espère le combler en lui racontant les ´fioretti’ du voyage ! À l’heure des retrouvailles, les récits se succèdent, tandis que Jésus, au-delà des mots qu’il entend, fixe le visage des siens, en délimite les cernes, constate la pâleur, appelle au repos immédiat. « Partons d’ici. Je veux que vous vous reposiez loin de la foule qui, par ma faute et mon désir, vous presse de toute part ! Allons dans un endroit tranquille ! » Seule une mère peut s’exprimer ainsi.
La joyeuse troupe part donc pour une promenade en bateau. Vous la voyez malheureusement déjà escortée par une escouade de barques ? De loin encore, sur le lac et de la proue du bateau, Jésus aperçoit en bord de rivage la foule des conquis et des déshérités, unis par une même faim, celle d’écouter sa voix et d’être guérie du malheur par le don de sa salive. « Je me dois à eux ! Je suis venu pour eux ! Quelle peine dans mon cœur lorsque je mesure à quel point ils sont abandonnés de leurs prêtres ! Sans bergers, les brebis de mon Père s’exposent au danger du désespoir et je ne peux pas me résoudre à les voir courir ce risque ! Vous, dit-il en s’adressant aux apôtres, reposez-vous comme prévu, et laissez-moi parler longuement à la foule de ces assoiffés de lumière. »
Trois heures de prédication sous le soleil qui fait triste figure devant l’éclat du Christ, et sans doute, jusqu’au soir, des guérisons à la pelle. Soudain, les apôtres s’inquiètent à juste titre pour le dîner de ces braves gens. Que faire ? Ventre vide n’a plus d’oreilles ! L’unique solution, pensent-ils, est de congédier la foule en la renvoyant à son destin. Permettez-moi de penser que Jésus fut agacé par cette idée, et qu’il répondit sèchement aux apôtres : « Vous n’avez qu’à leur donner à manger ! » Ils résistent, les gâtés du Christ, et tiennent tête en calculant déjà ce que coûterait à la bourse commune ce pique-nique géant ! Quelque peu déçu, Jésus reprend la main et s’informe du nombre de pains dont on dispose. « Juste ce qu’il faut, répondent-ils, pour une douzaine d’hommes. » Saint Jean précise : « J’ai vu qu’un gosse avait cinq pains et deux poissons dans sa besace ! » Cela semble suffire au multiplicateur de grâces. À son appel, les apôtres passent à travers les rangs et ordonnent à la foule de s’asseoir sur l’herbe par famille ou par groupe d’affinités, ce qui laisse entendre que la foule écoutait le Christ debout pendant des heures. Nos frères orthodoxes ont donc bien fait de supprimer les chaises et les bancs de leurs églises ! Jésus entre alors en prière, prononce une bénédiction et voici… que les pains et les poissons, défiant toutes les lois de la physique, se multiplient et descendent dans les gosiers des pauvres. En une demi-heure, cinq mille personnes seront rassasiées, et il restera encore, pour la route, des pains en veux-tu, en voilà. Sous la puissance de ce miracle, la foule des rassasiés veut élever à la dignité de roi celui qui l’est déjà. On les comprend, mais Jésus, lui, ne mange pas de ce pain-là, voulant servir éternellement le peuple et non régner sur lui temporellement.
‘Compatir’, les bouddhistes en ont fait un devoir de sagesse et on les en félicite ; c’est déjà cela de pris et au profit d’une multitude. Dans le monde chrétien, il serait malvenu d’être en reste, surtout lorsque l’on voit sur le lac notre Christ éprouver peine et douleur en avisant la foule abandonnée à sa misère. Que notre sensibilité se dilate, que les cerveaux sur pattes rabaissent leurs caquets, et que tous les hommes, quel que soit leur degré de foi ou de non-foi, soulèvent le cœur humain en l’inondant de lumières et de soutiens. Donner du pain à l’âme et au corps, on ne peut pas mieux faire. Ah ! si, peut-être ! En faire donner, après en avoir donné soi-même, est plus extraordinaire, car le bien par là se multiplie aux corps des bénéficiaires et aux cœurs des donateurs. En jouant sur les deux tableaux, le monde progresse en direction de l’amour gratuit, et c’est vraiment ce dont a besoin notre Occident jouisseur. Reste le reste à ne jamais gaspiller. Jésus, sur ce point, est intraitable. Prenons donc la résolution de ne plus jeter un seul gramme de pain et jusqu’à la queue d’une sardine dans nos poubelles où des milliers d’êtres humains se penchent encore pour trouver honteusement leur survie.
Un dernier point : si la multiplication des pains est une anticipation, une ébauche, une pâle image de l’Eucharistie qui, au dernier jour du Sauveur, surgira pour nourrir d’éternité les âmes humaines, notons que tous aujourd’hui, en bord de lac, ont communié au pain du Christ, lequel croit nécessaire de combler sans discrimination chaque enfant de la terre, à jamais pécheur, repenti ou pas.
Père Thibault NICOLET
Références des textes liturgiques :
. Deuxième Livre des Rois IV, 42-44
. Psaume CXLIV (CXLV)
. Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens IV, 1-6
. Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean VI, 1-15