Paroisse Saint Loup


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Vingtième dimanche du Temps Ordinaire Année B

S 17/08/2024 église Notre-Dame, Notre-Dame-de-Commiers et D18/08/2024 église Saint Jean-Baptiste, Vif

« Ma chair est la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson »

Nous sommes ici rendus à la dernière partie du discours de Jésus, avec un vocabulaire eucharistique qui domine et un réalisme tel qu’il ne peut être compris que du temps de l’Eglise. Entre les versets 53 et 54-56, Jean, au lieu du mot traditionnel ‘manger’, emploie un terme plus cru : ‘croquer, mâcher’, ce qui souligne l’appropriation et l’intériorisation nécessaires. Il est possible dans ce cas que cette partie du discours soit influencée par des débats dans la communauté de Jean sur le réalisme eucharistique. On pense à des milieux gnostiques ou docètes, refusant la médiation sacramentelle visant à rejoindre Jésus. L’eucharistie, corps et sang, communique au croyant les deux dons que les observants du temps de Jésus recherchaient : la vie éternelle dès maintenant et la permanence avec Jésus qui consiste à ‘demeurer’ avec lui, c’est-à-dire ce vers quoi les Juifs à la recherche de Jésus tendaient sans toutefois y parvenir. La révélation a pris fin, mais elle n’a pas fini de déployer ses effets.
Voici quelques réflexions pouvant offrir des clés de compréhension :
1/ Ce passage doit être compris en référence au miracle antérieur. Jésus proposait alors un signe se situant dans le prolongement de la manne et de sa signification. Ce qui était en jeu était l’identité de Jésus et son statut par rapport au judaïsme et tout particulièrement eu égard aux événements fondateurs du Livre de l’Exode. Ce désir d’être reconnu a échoué et le discours tente de faire réussir ce que l’action n’a pu réaliser.
2/ Notons bien que cette révélation est soulignée par la locution d’insistance « amen, amen, je vous le dis » qui, contrairement aux précédentes dans ce même chapitre VI, n’est pas suivie d’une manifestation d’incroyance.
3/ Cette incroyance insistante donne à penser que nous sommes en présence d’un texte polémique et apologétique. La polémique se reconnaît au statut réservé aux Juifs et aux grandes figures d’Israël. L’expression « vos pères » indique une rupture entre les Juifs et les chrétiens qui parlent. Une telle formule renvoie au temps de la communauté et non au temps historique de Jésus. D’ailleurs, d’autres formulations confirment cette impression, en particulier l’opposition insistante entre la manne comme nourriture de mort – « vos pères ont mangé et sont morts » - et Jésus comme « pain qui donne la vie au monde ».
4/ C’est bien la personne de Jésus qui est au centre du développement et l’on reconnaît une progression dans ce processus de révélation. Les Juifs ont été témoins et bénéficiaires d’un signe. Mais ils se montrent incapables de reconnaître en Jésus autre chose que ce qu’ils attendent : un messie terrestre. Ils ne peuvent, pour comprendre le présent, trouver une autre mesure que celle du passé : « nos pères ont mangé la manne ».
C’est bien Dieu le Père qui est au premier plan, mais dans sa relation indissociable au Fils, celui qui descend du ciel. On remarque que Jésus déplace l’intérêt sur sa propre personne. L’enjeu est bien de croire qu’en l’homme Jésus (« le fils de Joseph, celui dont nous connaissons le père et la mère »), Dieu se révèle et se donne. Croire en Jésus, c’est vivre dès maintenant et en vue de la résurrection générale.
Puis les thèmes principaux sont reprécisés où le Père n’est pas nommé explicitement. Ici Jésus parle de lui-même en introduisant le thème de sa mort comme source de vie pour le monde. La thématique jusque-là centrée sur la foi en Jésus évoque désormais la mort de celui-ci ainsi que l’eucharistie en tant que sacrement du mémorial de la mort.
Et voici que l’évangéliste évoque explicitement l’eucharistie en ces termes très réalistes : « manger la chair » (avec cette tonalité crue évoquée plus haut). Nous sommes ici clairement dans le temps de l’Eglise : la célébration de l’eucharistie est l’acte anti-docète par excellence (cette hérésie affirmant que Jésus n’a fait que prendre l’apparence d’un être humain) et l’affirmation sacramentelle du réalisme de l’incarnation.
5/ Cette révélation de plus en plus profonde du mystère de Jésus coïncide avec une défection progressive des disciples. Ce sont d’abord les Juifs qui « murmurent », comme les Hébreux au désert. Puis les disciples de plus en plus nombreux se retireront et cesseront de faire route avec lui. Enfin, parmi les Douze, l’incroyance gagne. En dépit de la magnifique confession de Pierre, le chapitre s’achèvera sur cette note pessimiste : « C’est Judas, l’un des Douze, qui allait le livrer. »
6/ L’ensemble de cette péricope tourne finalement autour de la question suivante : comment trouver Jésus ? La foule qui le suit croit l’avoir trouvé au point de pouvoir le prendre de force. Mais il leur échappe et la foule se met à sa recherche. L’ayant trouvé à la synagogue, la foule fait l’expérience de le perdre à cause de ses prétentions jugées excessives. Les uns après les autres, ils discutent puis s’en vont. Pour les chrétiens vivant après le départ de Jésus, l’eucharistie permet cette rencontre qui consiste à demeurer en lui. Pierre, porte-parole des Douze, demeure avec lui parce qu’il a les paroles de la vie éternelle.
L’évangile de ce dimanche nous fait percevoir la difficulté de ce chapitre VI de l’évangile selon saint Jean qui a longtemps divisé les commentateurs quant à sa signification. Déjà les Pères de l’Eglise se sont disputés autour de la dimension eucharistique de ce récit. Certains affirmaient que les images de nourriture étaient symboliques de la foi. D’autres y discernaient une signification clairement eucharistique. Il semble qu’aujourd’hui les oppositions soient moins marquées car la plupart admettent l’influence de l’Eglise dans ce texte. Les références eucharistiques, incompréhensibles durant la vie de Jésus, deviennent évidentes après l’institution eucharistique et la pratique sacramentelle de l’Eglise.

Père Thibault NICOLET

Références des textes :
Livre des Proverbes IX, 1-6 ;
Psaume XXXIII (XXXIV), 2-3, 10-11, 12-13, 14-15 ;
Lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens V, 15-20 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean VI, 51-58