Quatrième dimanche du Temps Ordinaire – Année C
samedi 02 février église de Saint-Paul-de-Varces
L’amour comme seule réponse
Qu’est-ce que Jésus a bien pu faire ou dire pour que les habitants de son village soient tellement en colère qu’ils sont prêts à le jeter dans un ravin pour le faire taire ? Les gens de Nazareth croient connaître Jésus. Cet homme-là, ils le connaissent « par cœur », et ils en sont fiers. Mais Jésus leur dit qu’il ne leur appartient pas. Il est venu pour tous les hommes. Son amour est pour tous et il n’appartient à personne. Parfois, nous aussi, nous voudrions Jésus pour nous, Jésus à nous. Mais Jésus ne se laisse pas attraper, ne se laisse pas enfermer. Il offre la Bonne Nouvelle et son amour à chacun, non pas pour que nous le gardions pour nous, mais pour que nous allions vers les autres et qu’à notre tour, nous les aimions du même amour dont Jésus nous aime.
Dans les passages de la première lettre aux Corinthiens que nous avons entendu ces deux derniers dimanches, saint Paul énumérait les différents dons que l’Esprit-Saint fait aux membres du Corps du Christ dans leur diversité. Mais, dit-il, parmi eux, il y en a un sans lequel les autres ne sont rien : c’est l’Amour. C’est lui qui donne valeur à tous les autres : ils ne nous sont donnés que pour mieux aimer.
Du coup, nous pourrions être tentés de lire ce texte comme une leçon de morale, comme un programme à remplir : « Voilà ce que vous devez faire si vous voulez remporter la palme du plus bel amour ». Mais en fait, avant de parler de nous, ce texte de Paul parle d’abord de Dieu, il contemple le mystère de l’amour de Dieu ; à chaque fois que nous rencontrons le mot « Amour » dans ce texte, nous pourrions le remplacer par le mot « Dieu » : « L’amour prend patience » ; oui, Dieu patiente avec son peuple, avec l’humanité, avec nous, lui pour qui « mille ans sont comme un jour, et un jour est comme mille ans », nous dit Pierre (2 Pierre III, 8) ; oui, « l’amour rend service », il suffit de regarder Jésus laver les pieds de ses disciples pour s’en convaincre (Jean XIII) ; le peuple d’Israël a eu maintes occasions d’expérimenter que « l’amour (c’est-à-dire Dieu) ne garde pas rancune », lui qui a pardonné à son peuple sans se lasser tout au long de l’histoire biblique, jusqu’au jour où sur le visage du Christ en croix, nous avons entendu les paroles suprêmes du pardon : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Et il ne nous a laissé qu’une seule consigne : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Heureusement pour nous, nous ne sommes pas laissés à nos seules forces pour cela, puisqu’il nous a transmis son Esprit : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné » (Romains V, 5). Ce qui veut dire que « l’amour même de Dieu est répandu en nous ». Voilà une bonne nouvelle, si nous voulons bien l’entendre.
Alors ici Paul fait l’inventaire du cadeau qui nous est fait, le catalogue des possibilités infinies de dépassement qu’il nous offre. En quelque sorte, il nous dit : « Voilà ce que l’amour vous rend capable de faire ». Les quinze comportements que saint Paul énumère dans son inventaire, loin d’être des utopies, sont les réalités étonnantes que l’expérience fait découvrir : réellement, on le sait bien, l’amour – et l’amour seul – permet à ceux qui aiment, à ceux qui s’aiment, d’atteindre des sommets de patience, d’oubli de soi, de douceur, de transparence, de confiance totale. C’est l’amour de Dieu, c’est-à-dire donné par Dieu, qui, seul, peut faire de nos communautés les témoins que le monde attend.
Paul insiste. C’est l’amour et lui seul qui fera de nous des adultes : « Quand viendra l’achèvement, ce qui est partiel disparaîtra. Quand j’étais un enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant que je suis un homme, j’ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant. » On peut en déduire que toutes les autres qualités (la science, la générosité, et même la foi et le courage, le don des langues ou de prophétie) ne sont que des enfantillages au regard de la seule valeur qui compte, l’amour. Quand on pense à l’importance que les Corinthiens attachaient à l’intelligence, à la naissance, à la condition sociale, on mesure mieux l’audace des propos de Paul. Toutes ces soi-disant valeurs auxquelles nous tenons tant, nous aussi, ne sont que des balayures, comme Paul le dit ailleurs, puisque même les plus grandes vertus ne sont rien si elles ne sont pas irriguées uniquement par l’amour de Dieu lui-même. Voilà qui remet les choses à leur place. Une fois de plus, on entend résonner les Béatitudes : seuls les pauvres de cœur savent accueillir en eux les richesses de Dieu. Peut-être n’osons-nous pas assez compter sur ces possibilités infinies d’amour qui sont à notre disposition, pourvu que nous les sollicitions. L’Esprit est très discret, il attend peut-être que nous lui demandions son aide.
C’est ce même Esprit dont le Seigneur Jésus détenait tous les secrets dès sa vie terrestre et en dépit de cette réalité de foi, « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu », dira saint Jean. Luc le dit dans l’évangile de ce dimanche en opposant l’attitude de Nazareth, la ville de son enfance, et celle de Capharnaüm (où il était au départ un inconnu), et cette opposition en préfigure une autre : l’opposition entre l’attitude de refus des juifs (pourtant destinataires du message des prophètes) et l’accueil de la Bonne Nouvelle par des païens. Comme la veuve de Sarepta, comme le général syrien Naaman, ce sont les non-juifs qui feront le meilleur accueil au Messie. Mais la victoire définitive du Christ est déjà annoncée, symbolisée par sa maîtrise sur les événements : « Lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. »
Références des textes liturgiques :
Livre du prophète Jérémie I, 4-5. 17-19 ; Psaume LXX (LXXI) ;
Première Lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens XII, 31 – XIII, 13 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc IV, 21-30.