Sixième dimanche du Temps Ordinaire – Année C
dimanche 18 février 2019 église Saint Jean-Baptiste de Vif
Bienheureux !
Pour être heureux, faut-il être beau, riche et célèbre ? Étrangement, Jésus nous propose d’être pauvre, d’avoir faim, de pleurer… et il nous promet le bonheur ! De quel bonheur s’agit-il ? Du bonheur de recevoir ce que Dieu nous donne. Comment pourrions-nous recevoir le bonheur qui vient de Dieu si nous avons les mains pleines de toutes nos propriétés, la bouche pleine de toutes nos agapes ou, pire encore, de tous nos jugements ? Comment recevoir ce bonheur si nous avons l’esprit et le cœur occupés par notre apparence vestimentaire ou notre petite personne ? Alors, n’hésitons pas ! Posons toutes les choses qui encombrent nos mains et notre cœur pour que Dieu les remplisse du vrai bonheur !
L’introduction du discours de Jésus dans la plaine est encore révélatrice du soin avec lequel Luc soigne le cadre de son récit sur Jésus. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il conserve l’idée de saint Matthieu d’un Jésus nouveau Moïse proclamant la loi nouvelle à partir d’une montagne comme son illustre prédécesseur au Sinaï, je dirais même qu’il la détaille mieux.
Avant de parler dans la plaine, Jésus, tout comme Moïse, était en effet monté sur la montagne pour prier. La prière de Jésus précède en effet toujours des moments d’une très grande importance chez saint Luc. De fait, après cette prière, il choisit les douze apôtres parmi ses disciples. Le lieu et les circonstances confèrent donc aux apôtres – et pour Luc ils ne peuvent être que douze – un rôle capital. Sur le mont Sinaï Dieu avait donné la loi à Moïse sur la montagne, dans l’Évangile, à la suite de sa prière, il donne à Jésus ses apôtres et Simon reçoit le nom de Pierre.
Il m’arrive de parler de l’Église comme étant révélée hiérarchique, ayant pour fondement les douze apôtres, ce qui ne plaît pas toujours à tout le monde, y compris hélas à certains catholiques, mais nous en avons ici une des raisons.
Jésus, tout comme Moïse, redescend de la montagne pour parler au peuple. Nous vérifions là une fois encore – et ceci n’est pas particulier à Luc – que l’Exode est à l’arrière fond de toute la révélation de la Nouvelle Alliance. Il est bien dommage à ce sujet que le lectionnaire ait jugé bon de ne pas citer, après le verset 17, les versets 18 et 19 évoquant les guérisons et les exorcismes pratiqués par Jésus. Car dans la piété juive, comme le rappellent certains exégètes, le peuple « ‘régénéré par le Sinaï’ aurait vécu quelque temps dans un état idéal ». C’est ce qui a pu inciter Luc, pour poursuivre son rappel de l’Exode, à nous raconter cette série de miracles.
Il est en outre à noter – ceci est propre à Luc et conforme à sa vision universaliste du salut – que les foules que Jésus rejoint dans la plaine avec les douze et les autres disciples ne sont pas composées seulement de juifs, mais aussi de païens, venant du littoral de Tyr et de Sidon.
Retenons de tout cela que si Luc « creuse » peut-être plus que Matthieu le particularisme juif par ce rappel détaillé des événements de l’Exode, il insiste néanmoins sur le caractère cosmopolite de la foule. Tous autant que nous sommes et quelle que soit notre situation dans l’Église, nous devons descendre de nos montagnes et marcher vers les foules. Mais qui que nous soyons et quelle que soit notre origine, nous devons tous descendre d’une même montagne, d’un sommet plus haut que ceux que nous ont légués nos appartenances ethniques, nationales ou familiales, à savoir la révélation juive.
Non point d’abord celle de la synagogue, mais de ce que nous pouvons connaître de l’ancien judaïsme (celui de Moïse et des prophètes) dont la synagogue est issue ! C’est dans ce sens que le pape Pie XI disait que nous sommes tous sémites, et à cause de cela que nous pourrons mieux toucher toutes les nations. Selon la promesse de Dieu, c’est en Abraham qu’elles sont toutes bénies (Genèse XII, 3) et ce même patriarche s’est réjoui en voyant le jour de Jésus (Jean VIII, 56-59, qui se termine par le « avant qu’Abraham fut, je suis »).
La quatrième béatitude et la malédiction qui lui correspond embrasse des situations beaucoup plus diverses que les précédentes. Mais ce qu’il faut d’emblée bien voir, c’est que la haine (qui produit du mal aussi chez celui qui est haï), l’exclusion (des synagogues très probablement), l’insulte (ou honte), atteinte à l’honneur, le rejet du nom comme méprisable (diffamation), tout cela a pour cause le Fils de l’homme. Autrement dit, celui qui subit ces choses n’est heureux que si toutes ces actions négatives à son encontre sont liées à son statut de chrétien ! Voilà qui aujourd’hui revêt une actualité importante, depuis plusieurs années d’ailleurs, dans notre propre pays où le christianisme subit ce genre d’outrages, celui de la dérision pour l’instant, et dans d’autres pays, ceux-ci sont complétés, si j’ose dire, par la persécution physique qui va jusqu’à la mise à mort.
Aussi faut-il que les chrétiens, qui à bon droit se sentent agressés, mesurent l’intensité des attaques dont ils sont l’objet et les comparent avec ce que d’autres subissent. Ceux qui souffrent le moins doivent aider ceux qui souffrent le plus. La lâcheté et les silences deviennent de plus en plus intolérables et l’Église doit les dénoncer.
C’est pourquoi ceux qui ne ressentent rien du tout au point de penser que, grâce aux apports de la modernité et à la tolérance que, paraît-il, elle engendrerait, on peut être chrétien sans de tels risques, se complaisent alors dans des illusions ou des tromperies quand ils s’adressent à d’autres. Les jouisseurs de décadence qui n’aiment pas être dérangés ont du souci à se faire parce que Jésus leur donne pour ancêtres, en ce qui concerne leur bonne réputation, les faux prophètes de l’ancien temps.
Références des textes liturgiques :
Livre du prophète Jérémie XVII, 5-8 ; Psaume I ;
Première Lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens XV, 12. 16-20 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc VI, 17. 20-26.