Huitième dimanche du Temps Ordinaire Année C
26 et 27 février 2022 Eglise de Saint-Paul-de-Varces, église Saint Jean-Baptiste, Vif
Les conditions du zèle apostolique
Voici qu’aujourd’hui encore le Seigneur nous parle de l’homme. En nous ouvrant son cœur, il nous révèle à nous-mêmes. En nous parlant du disciple, il nous parle du Maître. En nous parlant de son humanité, il nous enseigne notre propre humanité. Le cœur, c’est le centre vital où toutes nos forces physiques, intellectuelles, morales et spirituelles se rejoignent. C’est du cœur que naît l’amour, l’envie ou la haine. Quant à nos paroles, ne reflètent-elles pas l’état de notre cœur ? D’où vient donc la bonté de l’homme bon si ce n’est « du trésor de son cœur qui est bon » ? Et d’où vient la méchanceté de l’homme mauvais ? « De son cœur qui est mauvais ». C’est donc bien à notre cœur que Jésus s’adresse.
Il n’est pas difficile de constater l’imperfection chez le prochain. Mais cette constatation nous donne-t-elle le droit de nous mettre à la place de Dieu pour juger ? Sommes-nous assez parfaits pour prétendre perfectionner l’autre ? Ne sommes-nous pas enclins à nous ériger en modèle de « bien-pensant », de charitable, de tolérant, pour accabler les autres de tous les torts ? Un proverbe libanais dit : « Le chameau ne voit jamais sa propre bosse ».
Le Seigneur, lui-même, n’a pas jugé, et il est pourtant le juge suprême. Certes, il n’a pas ménagé son langage envers les Pharisiens et docteurs de la Loi barricadés dans leur orgueil. Mais il manifeste aux humbles sa miséricorde car il garde confiance en l’homme. Il sait que tout homme est capable de faire marche arrière sur son chemin d’errance et de revenir à lui, qui l’attend les bras grands ouverts comme le père du fils prodigue.
Avant de nous arroger le droit de juger, il nous demande d’avoir comme lui un cœur « doux et humble ». Il faut nous mettre à l’école des saints qui n’ont atteint des sommets dans l’ordre de la grâce que parce qu’ils étaient conscients de leur « petitesse », et qui ne sont des exemples à suivre que parce qu’ils ont manifesté beaucoup d’amour et de miséricorde envers les hommes. Les vaniteux, quant à eux, se constituent censeurs et médecins des autres, avant de s’examiner et de se guérir eux-mêmes. Le mal en eux peut être plus redoutable que celui qu’ils prétendent extirper chez les autres. La poutre dans leurs yeux, ils ne la voient pas ; mais la paille dans l’œil du voisin devient, à leurs yeux, démesurée.
Le Christ nous révèle que tout jugement envers le prochain est une faute contre la charité. Quant à la correction fraternelle, nous ne pourrons la pratiquer qu’en ayant d’abord une âme droite, humble et priante, pour que l’Esprit-Saint nous donne de discerner ce qui vient du Seigneur et ce qui vient du Malin. Et il faudra encore que, dans notre façon de l’exprimer, nous y ajoutions beaucoup de charité et de douceur. Notre parole procède du trop-plein de notre cœur. Elle est le fruit qui permet de juger l’arbre.
Que d’hommes et de femmes en recherche de sérénité frappent à la porte des monastères pour une retraite, un échange spirituel, une approche de la vie monastique ! Souvent ils ignorent le nom du moine ou de la moniale qui, par son accueil, son sourire, sa parole de délicatesse, son attention, leur fera goûter aux « fruits de la grâce », mûris dans un cœur éduqué à l’humilité, à la douceur, au respect, à la bonté et à la générosité. Que de conversions à la suite de récollections ou de retraites prêchées dans des centres adaptés à cette rencontre avec le Seigneur, qu’il s’agisse des Foyers de Charité, de retraites ignatiennes ou encore de journées franciscaines ou dominicaines !
Mais il y a, hélas, une tentation qui nous guette, je veux parler de la dissimulation. Il est question de ce que certains musulmans, tels les druzes, les chiites ou les alaouites appellent la « taqiyyah ». Il s’agit, pour sauver la face, de paraître tel que le monde souhaite que l’on soit. C’est en quelque sorte « l’hypocrisie au carré ». On prend des airs de « sainte nitouche » pour faire impression sur les hommes alors que l’on déplaît à Dieu. Mais à ce moment-là, les actions les plus héroïques que nous pourrions réaliser resteront stériles, nos paroles les plus sublimes pourront même pervertir ceux qui les écouteraient. Il en est ainsi des faux prophètes, contre lesquels Jésus nous a avertis. Ils accomplissent des prodiges mais leurs paroles sont contraires à l’enseignement du Seigneur, car elles prônent la révolte, la désobéissance ou encore la scission… « Jamais un bon arbre ne donne de mauvais fruits… jamais non plus un arbre mauvais ne donne de bons fruits ».
Seigneur ! Nous tremblons à l’idée que nous puissions être de mauvais arbres qui seront, un jour, coupés et jetés au feu. Toi, le Vigneron céleste, nous nous mettons à ta disposition pour que tu fasses de nous ce que bon te semble. Tu ne fais d’ailleurs rien qui ne soit dans notre intérêt, même si nous ne nous en rendons pas compte.
Nous acceptons donc d’être élagués, taillés, greffés. L’essentiel, c’est que nous soyons à ton service, et qu’étant à ton service, nous servions le monde qui ne goûtera à toi que par les fruits que nous lui offrirons de l’abondance de notre cœur.
Père Thibault NICOLET
Références des textes liturgiques : Livre de Ben Sira le Sage XXVII, 4-7 Psaume XLI (XLII), 2-3, 13-14, 15-16 Première Lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens XV, 54-58 Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc VI, 39-45