Paroisse Saint Loup


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Deuxième dimanche de Carême Année C

D 13/03/2022 église Saint-Pierre de Varces

« Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre. »

En ce dimanche de la Transfiguration du Seigneur, la question de la place de cet événement – similaire dans le récit de Luc et des deux autres évangiles synoptiques - comme celle de son supplément original dans le récit du troisième évangile se posent.

Si Pierre s’est refusé, comme très vraisemblablement les autres apôtres, à admettre un Messie souffrant et sa victoire en passant par la mort, c’est tout simplement qu’un tel abaissement du Messie était inimaginable dans l’espérance juive de cette époque. Il pouvait y avoir des souffrances et des épreuves comme en témoignent ceux qui voyaient dans le Serviteur de Dieu (Isaïe LIII, 1-5) une annonce de ce que subirait l’envoyé de Dieu, mais cela n’incluait pas la mort pour qui lit attentivement le texte. Cela dit, dans le récit de Luc, contrairement à Matthieu et à Marc, Pierre ne contredit pas Jésus et ne se fait pas traiter de Satan, même s’il se voit interdire d’ébruiter sa confession, qui est pourtant juste, mais qui peut prêter à mauvaise interprétation. Luc veut très certainement ménager l’autorité de Pierre à la tête du collège apostolique en ne répétant pas ce que les deux autres évangélistes ont déjà rapporté. Il ne cachera pas pour autant d’autres fâcheuses postures de Pierre comme le reniement (Luc XXII, 54-62), mais la qualification de Satan doit lui paraître trop forte à l’endroit de celui qui va incarner l’autorité suprême après le départ du Christ. Luc tient en effet beaucoup à l’autorité comme à la hiérarchie apostolique de l’Église.
C’est dans ce contexte que le Christ pose en ses apôtres, et d’abord en Pierre, les fondements d’un enseignement qui n’est pas tout de suite compris, mais qui le sera plus tard. Quand l’éternel rencontre le temporel, il se produit un choc dont l’effet se déploie dans la durée, ici de la confession de Pierre à la Transfiguration, et même au-delà de la Résurrection.
Le Mystère de la Croix demeurera pourtant toujours scandale pour les juifs et folie pour les païens selon l’expression de saint Paul (Première Épître aux Corinthiens I, 23). Sans vouloir atténuer tout ce que ce mélange d’abaissement et de gloire a d’étrange, Luc va au contraire l’accentuer. La gloire chez cet évangéliste n’interviendra pas seulement après l’abaissement, mais elle sera déjà incluse en lui. Luc préparera ainsi le terrain à saint Jean et à toute la théologie de la croix glorieuse. La gloire et la puissance du Christ ne sont pas manifestés seulement à partir de Pâques mais dès la crucifixion. Expirant sur la croix, le Christ de saint Jean est aussi celui de l’Ascension qui envoie son Esprit au jour de Pentecôte.
Ce sont finalement les trois personnages – le Christ, Moïse et Élie – qui sont transfigurés : ils se trouvent tous trois en gloire pour évoquer ce départ qui contient tout de même la croix, et la mort ! Aussi devrions-nous réfléchir plus que nous le faisons et méditer avec saint Luc et saint Jean sur cet aspect glorieux de la croix. L’usage liturgique de l’Église a du reste retenu cet aspect puisque le crucifix est placé sur nos autels, non pour rappeler seulement le sacrifice douloureux du Christ, mais pour montrer aussi que cet événement renferme toute sa gloire et toute sa puissance. La messe en est l’actualisation puisque c’est là, sur l’autel où se trouve le crucifix, que le corps et le sang glorieux du Christ seront réellement présents, le prêtre donnant sa voix au Christ pour actualiser le Golgotha (d’où la nécessité pour lui d’avoir ce crucifix sous les yeux).
La vieille théologie juive voyait pour sa part dans la souffrance un signe de malédiction divine, au mieux une épreuve infligée par Dieu. Dans ce dernier cas l’aspect positif ne résidait alors que dans la réflexion que l’homme pouvait faire sur le châtiment. Le livre de Job, déjà dans l’Ancien Testament, remettait en cause tout ce raisonnement. Certes la souffrance peut être une épreuve d’obéissance comme dans le cas de Job, au moins dans une partie du livre. Mais cette souffrance peut aussi renvoyer au mystère de Dieu et ne recevoir aucune explication rationnelle sinon que personne n’est juste devant Dieu, ce qui est la conviction de Job, parce qu’il n’a commis aucune faute grave. Le seul péché de Job est justement de croire cela, s’imaginer être justifié par les œuvres. Nous avons là en germe tout ce qui fera l’objet de la polémique de saint Paul sur l’impossibilité d’être justifié devant Dieu par les œuvres selon la loi.
Jésus ne s’est jamais attribué aucune gloire personnelle à cause de ses miracles, voilà pourquoi sa croix peut être glorifiée sans le risque malsain d’insinuer dans le cœur des hommes l’idée d’une souffrance méritoire qui viendrait d’eux. Pourquoi ? Parce que le seul homme qui ne devait pas souffrir en ce monde était bien lui. C’est pourquoi il n’y a que pour lui que la souffrance est méritoire, Dieu peut la récompenser puisque rien ne la justifiait dans le supplice du Golgotha. Et comme Jésus n’a pas besoin de cette récompense, il peut nous la donner si nous croyons à la valeur de ce saint sacrifice. Nous y prendrons aussi notre part de souffrance et accomplirons les œuvres que le Christ a produites à l’imitation du Père.
C’est ainsi que bien des souffrances humaines, que quelques-uns voudraient voir supprimées par l’euthanasie, ou bien que l’on cache dans certaines maisons de retraite, la personnalité hors norme que fut Jean-Paul II a su les nimber de la gloire du Christ, du blanc de son habit jusqu’à cette dernière apparition a balcon de saint Pierre, d’où sa voix s’est tue. Et ce mutisme-là donna d’un seul coup une voix aux sans-voix. Image terrible que cette dernière vision du saint pape voulant parler pour donner sa bénédiction, et ne le pouvant pas, mais, malgré tout, visage radieux de transfiguration, telle que saint Luc l’a comprise et a voulu nous la faire comprendre. Dans son silence forcé, il parlait de la mort avec Moïse et Elie, tout comme le Christ en son sublime effort à l’Heure de sa Passion. Il irradiait parce qu’il brillait déjà de la Lumière d’En-Haut.

Père Thibault NICOLET

Références des textes liturgiques :
Livre de la Genèse XV, 5-12. 17-18 ; Psaume XXVI (XXVII) ;
Épître de saint Paul apôtre aux Philippiens III, 17 – IV, 1 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc IX, 28-36