Paroisse Saint Loup


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Jeudi Saint / Messe en mémoire de la Cène du Seigneur / Entrée dans le Triduum pascal

J 14 04 2022 église Saint Jean-Baptiste, Vif

« Il les aima jusqu’au bout »

« Le Christ, notre Pâque, a été immolé » (1 Corinthiens V, 7). Il était évident, pour saint Paul et les disciples de Jésus, que la Pâque des Juifs se trouvait accompli dans le sacrifice de leur Maître, l’Agneau véritable qui a enlevé les péchés du monde. Ainsi, dès l’époque apostolique, les chrétiens commémoraient chaque dimanche, par une liturgie eucharistique, la mort et la Résurrection du Seigneur, nouvelle Pâque de l’Église. A la fin du IIème siècle, on voit les Églises d’Asie Mineure célébrer annuellement la fête de Pâques au jour anniversaire de la mort du Seigneur, établi au 14 du mois juif de Nisan (cf. Jean XVIII, 28). A la même époque, à Rome, on attendait le dimanche suivant pour célébrer l’anniversaire de sa Résurrection. Si une querelle opposa durablement les chrétiens d’Orient et ceux de Rome au sujet du jour de la fête de Pâques, celle-ci eut le mérite de rappeler que l’œuvre du salut s’accomplit dans les deux événements indissociables de la mort et de la Résurrection de Jésus, qui constituent son « Mystère pascal ».
Dans son Mystère pascal, Jésus accomplit toute l’Histoire du salut. Il mène à son achèvement le plan mystérieux du relèvement et de la glorification de l’homme et, avec lui, de la création tout entière, plan de sanctification préparé par Dieu et caché en lui dès les origines (cf. Ep III, 9). Ces événements salvifiques se sont déroulés historiquement, pendant trois jours (en latin triduum), à Jérusalem, et c’est « le troisième jour » que Jésus est ressuscité des morts selon la chair.
Le Triduum est la célébration liturgique des trois jours du Mystère pascal. Il culmine dans la Vigile de la nuit de Pâques, durant laquelle les catéchumènes et les fidèles participent à la Résurrection de Jésus et passent, avec lui, de la mort à la vie.
De quels jours s’agit-il exactement ? A partit du Vème siècle, l’Église latine réserva le mot « Pâques » au dimanche de la Résurrection, tandis qu’elle désignait, par l’expression « triduum sacrum », les trois jours qui le précédaient : le Jeudi, le Vendredi et le Samedi saints. Pendant de longs siècles, elle distingua donc le Triduum et le dimanche de Pâques. Il s’agissait à l’origine d’inclure la mémoire de la Cène, la veille de la Passion. Par la suite, la théologie et la piété latines se fixèrent toujours plus sur le sacrifice de la croix, au risque de dissocier mort et résurrection, les deux faces de l’œuvre du salut.
C’est le pape Pie XII qui, en 1955, restaura le Triduum dans son unité pascale originelle, l’organisant autour de la célébration solennelle de la Vigile. Le premier jour du Triduum est ainsi le Vendredi saint, où l’Église commémore la Passion du Seigneur et le sacrifice de la croix ; le deuxième jour est le Samedi saint, jour a-liturgique où est commémorée, dans le silence, la solitude et le jeûne, la descente du Christ aux enfers, prodrome de la Rédemption ; le troisième jour est le dimanche de la Résurrection, qui commence dans la Nuit sainte de Pâques et célèbre dans l’allégresse le triomphe du Prince de la vie. C’est au long de ces trois jours indissociables que se déroule la Pâque chrétienne, le « passage » de la mort à la vie, avec le Christ.
Suivant la manière biblique qui fait commencer le jour la veille au soir (la vigile), le premier jour du Triduum s’ouvre ainsi avec la messe du soir du Jeudi saint, où est commémorée la Cène du Seigneur (Messe in Cena Domini) et s’achève avec l’ensevelissement de Jésus, alors que se terminent les préparatifs du sabbat. Commence alors le deuxième jour, qui s’achève à l’approche de la Nuit sainte. Le troisième jour débute par la Vigile du dimanche et s’achève après les vêpres de Pâques. On comprend mieux, par cette manière biblique de compter, pourquoi Jésus n’est pas ressuscité trois jours après sa mort, mais bien le « troisième jour ».
Dans la célébration liturgique du Mystère pascal, l’Église rend présente et agissante, à travers les âges, la réalité historique de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Seigneur.
Le dimanche des Rameaux, déjà, les fidèles se sont transportés en esprit au jour où Jésus entra à Jérusalem. La liturgie les invitait alors à imiter les « enfants des Hébreux » et à reprendre leur « Hosanna ». Pourtant, la liturgie du Triduum est infiniment plus qu’une évocation symbolique de l’histoire, à la seule fin de se souvenir : elle est mémorial et mystère, ou encore, au sens large, sacrement. Par le sacrement, l’Église, au moyen des signes liturgiques visibles, est mise en présence de la réalité invisible (mystère), dont elle fait mémoire (anamnèse) devant Dieu, afin que Celui-ci renouvelle ses bienfaits.
De cette manière, au long du Triduum, l’acte unique du salut accompli par Jésus une fois pour toutes lors de sa Pâque à Jérusalem, est rendu présent réellement, mais sacramentellement, « en mystère ». Il en va du Mystère pascal de Jésus comme du sacrement de l’Eucharistie, qui le perpétue au long des siècles : « Chaque fois qu’est célébré ce sacrifice en mémorial, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit » (prière sur les offrandes de la Messe de ce soir).
Rendu présent dans toute sa réalité historique par la liturgie du Triduum, le Mystère pascal est la source et le fondement de tout le culte chrétien, de la foi et des sacrements, comme de la vie nouvelle et spirituelle dont doivent vivre les baptisés.
Baptisés, les fidèles sont « passés par la mort avec le Christ », une fois pour toutes, afin de « mener une vie nouvelle » (cf. Romains VI). Cependant, « telle la biche qui languit après l’eau vive », leur âme languit après la source de la vie. C’est pourquoi, chaque année, l’occasion est donnée aux chrétiens de replonger dans la fontaine du baptême, aux côtés des catéchumènes, pour recevoir avec eux la grâce de la vie nouvelle. Ils le font collectivement, à la Vigile, lorsqu’ils renouvellent leur profession de foi et sont aspergés d’eau baptismale, et personnellement, en se laissant réconcilier avec Dieu dans le sacrement de pénitence et en recevant la communion pascale à la messe de la Résurrection.
Ainsi, participer avec ferveur à la liturgie du Triduum, c’est prendre sa place dans l’œuvre du salut et revivre « mystiquement » les événements historiques de la Rédemption, aux côtés de Jésus : c’est l’accompagner par la foi jusqu’au pied du Calvaire, plonger avec lui, le Samedi saint, dans les profondeurs du péché et de la mort, et, au matin de sa Résurrection, recevoir l’effusion de l’Esprit-Saint pour confesser avec joie qu’il est vivant, glorieux, « avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matthieu XXVIII, 20).
Quant à la messe de ce soir, en mémoire de la Cène du Seigneur (« in Cena Domini »), c’est bien elle qui marque l’ouverture du Triduum. La communauté chrétienne est tout entière conviée pour commencer la célébration du Mystère pascal et pour commémorer l’institution, par le Christ, des sacrements de l’Eucharistie et du Sacerdoce. La liturgie de ce soir nous ouvre à l’intelligence du mystère de la Passion : enfin, l’Heure de Jésus est arrivée, où « il aima les siens jusqu’au bout » (Jean XIII, 1, évangile), offrant sa vie « dans son immense charité » (Éphésiens II, 4). L’humble abaissement du Maître aux pieds de ses disciples sera représenté de manière frappante par le rite du Mandatum, ou lavement des pieds, célébré après cette homélie. C’est encore sous les très humbles apparences du pain et du vin que le Seigneur lègue ensuite à ses Apôtres le mémorial liturgique de son sacrifice : l’Eucharistie, sacrement de la Pâque nouvelle. Ce soir, Jésus nous apprend que son corps, qui, demain, sera cloué sur la croix, est en réalité un corps offert, livré entièrement par amour, toujours disponible dans le sacrement de l’autel. « Pain vivant », Jésus se laisse rompre ; il offre sa vie et brûle aussi que ses disciples communient à sa propre offrande pour le salut du monde. « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jean XIII, 15).

Père Thibault NICOLET

Références des textes liturgiques :
Livre de l’Exode XII, 1-8. 11-14 ; Psaume CXV (CXVIa) ;
Première Épître de saint Paul apôtre aux Corinthiens XI, 23-26 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean XIII, 1-15